Chevaliers combattant de féroces escargots : pourquoi ce motif récurrent dans les livres médiévaux ?
Saviez-vous qu'un guerrier curieux mais redouté apparaît dans des textes datant du Moyen Âge ? Il s'agit d'un mollusque très commun, qui peut difficilement nous sembler menaçant : l'escargot. Mais pourquoi était-il considéré comme un adversaire aussi redoutable ?
Oeuvres de marginalia au Moyen Âge : chevaliers contre escargots
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Pourriez-vous imaginer un escargot en version combattante, comme une créature féroce et dangereuse? Eh bien, au Moyen Âge, cet humble mollusque était représenté de cette manière, tel un guerrier intrépide prêt à se battre contre les chevaliers. De nombreux anciens manuscrits du XIVe siècle proposent, parmi leurs illustrations, des images similaires : des hommes en armure et casque de combat brandissant un bouclier, défiant ces créatures considérées comme létales. Dans certains cas et représentations, les escargots combattants sont en nombre et semblent avoir le pouvoir de "prendre leur envol" ou d'effectuer des sauts remarquables, car ils apparaissent en suspension dans les airs.
Mais pourquoi les escargots étaient-ils représentés de cette manière inhabituelle et aussi fréquemment? Ce phénomène a suscité un intérêt considérable de la part des historiens de l'art et des experts en livres de l'époque, sans parvenir à trouver une explication unanime : un véritable mystère entoure en particulier les œuvres de "marginalia", au singulier "marginalium", c'est-à-dire un ensemble de mentions et de signes inscrits en marge d'un texte, dont les manicules, les festons, les trèfles, etc. À l'époque médiévale, les manuscrits les plus illustres, une fois achevés, pouvaient en effet être enrichis de décorations et de dessins particulièrement élaborés et réalisés avec des pigments précieux.
Pourquoi des chevaliers combattent des escargots dans les textes médiévaux : les théories
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Il s'agissait de tomes d'élite, au prix très élevé et réservés à un petit nombre de lecteurs. Les dessins des marginalia pouvaient avoir différents thèmes, parfois très bizarres et en net contraste avec le contenu et le sens du texte, selon les modes du moment. À la fin du XIIIe siècle, pour une courte période, les enlumineurs européens se sont particulièrement investis dans la reproduction d'escargots combattants. La plupart de ces représentations semblent se concentrer entre 1290 et 1310, avec une incidence particulièrement élevée en France, où la production de manuscrits était en forte croissance à cette époque. Bien que le contexte et le cadre du combat puissent varier, les figures principales étaient toujours les mêmes : un escargot contre un chevalier, avec le mollusque étendant ses longues antennes vers l'ennemi comme s'il s'agissait d'épées. Dans certains cas, ils apparaissent comme des créatures hybrides, mi-escargots mi-humains, avec des lapins sur leur dos. Après avoir trouvé leur place dans de nombreux textes écrits, ces curieux combattants ont même commencé à apparaître sur les façades des cathédrales médiévales, comme les panneaux sculptés vers 1310 sur l'entrée principale de la cathédrale de Lyon.
Selon les experts, la véritable raison de cette représentation curieuse pourrait être le symbole d'une inversion des hiérarchies, un renversement du monde de l'époque vu de manière ironique. Dans la plupart des cas, il aurait pu s'agir d'un moyen d'adoucir le ton sérieux et lourd des textes, en divertissant le lecteur avec un peu de satire. On ne sait cependant pas si ces scénarios avaient d'autres connotations symboliques : pourquoi un chevalier, censé être courageux et vaillant, semble-t-il effrayé par un escargot ? On a émis l'hypothèse que ces mollusques pourraient représenter les différentes classes sociales et la lutte entre les classes supérieures et inférieures, tandis que les chevaliers pourraient symboliser la lâcheté, surtout lorsqu'ils sont représentés recroquevillés devant l'escargot, priant à genoux pour leur salut.
Le symbolisme médiéval des escargots guerriers selon les experts
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Parmi les différentes hypothèses, il a été suggéré que les escargots pourraient avoir été interprétés comme représentant le peuple germanique des Lombards, qui a dirigé leur royaume en Italie jusqu'à la fin du VIIIe siècle. En France, ils ne jouissaient pas d'une très bonne réputation, loin s'en faut : ils étaient considérés comme manquant de courage et d'hygiène personnelle. En tant qu'antithèse des figures chevaleresques, ils pourraient donc avoir été représentés comme "incapables de vaincre même un escargot". Cependant, cette théorie ne trouve pas de consensus parmi les historiens, qui estiment que ces dessins sont plus complexes et chargés de sens qu'ils ne peuvent apparaître à première vue.
Un autre aspect intéressant est que les antennes des escargots étaient dessinées pointues, comme des armes capables de transpercer, tandis que les chevaliers étaient représentés avec des objets moins tranchants, tels que des massues, des bâtons, des haches et, dans certains cas, des fourches. Bien qu'ils soient presque toujours représentés comme des hommes, il existe également un cas où le chevalier en question est une femme, équipée d'un bouclier et d'une lance, tandis que d'autres dessins représentent des femmes suppliant les chevaliers d'abandonner la bataille contre les escargots redoutables.
Le fait que les mêmes images se soient répandues également en Angleterre et dans les Flandres, avec des variations minimes, laisse penser que leur signification était assez profonde et enracinée. Sans doute, les escargots au Moyen Âge étaient considérés comme des animaux très forts, car ils pouvaient porter toute leur maison sur leur dos, ce qui pourrait symboliser à la fois la force physique et spirituelle. En somme, la véritable raison de cette étrange association reste un mystère : laquelle des théories proposées se rapproche le plus de la vérité, selon vous ?